Retour sur les Assises nationales des écoles d'art et de design, Marseille 2025
Du 4 au 7 novembre 2025, j’ai eu l’honneur d'être invité aux Assises nationales des écoles d’art et design organisées par l’ANdÉA aux Beaux-arts de Marseille, pour représenter, en tant que cofondateur, l’Alliance France Design. Cet événement, qui marque les 30 ans de l’association, a réuni l’ensemble de l’écosystème de l’enseignement artistique français autour du thème « Demain l’école d’art : horizon 2050 ».
Une mobilisation pour l'avenir de l'enseignement artistique
Ces assises ont rassemblé les représentants de 44 écoles supérieures d'art et design publiques, les 26 classes préparatoires (APPÉA) et les 55 écoles territoriales de pratiques amateurs (ANÉAT), soit près de 35 000 élèves et étudiants accompagnés par 2 500 artistes-enseignants. Une mobilisation sans précédent qui témoigne de l'urgence des enjeux. [+ andea.fr]
Table ronde Structurer les professions : l'école concernée
Le 6 novembre, à la suite de la table ronde Parcours diversifiés : élargir les horizons où il était question des articulations entre formations et réalités professionnelles, j'ai participé à la table ronde Structurer les professions : l'école concernée, modérée par Amel Nafti, directrice de l’ENSAD Dijon. Les échanges ont porté sur une question essentielle : comment les écoles peuvent-elles anticiper, outiller et défendre les conditions d’exercice des artistes et designers de demain ?
Enjeux identifiés
La question de la représentativité professionnelle
Les intervenants, dont Gaëlle Villedary, artiste Caap, Rebecca Digne, artiste et sociétaire de l’Adagp, et les représentants des réseaux territoriaux ont souligné le manque de structuration du secteur. Les artistes-auteurs et designers forment un secteur atomisé qui peine à faire valoir ses droits collectivement.
Le fossé entre formation et réalité professionnelle
Un constat partagé : nombreux sont les diplômés qui « tombent de haut » à leur sortie d'école. Si la conscience politique et l'engagement sont présents pendant les études, la confrontation avec les réalités administratives, fiscales et contractuelles reste brutale.
La précarité systémique
Au-delà de la mythologie de « l'artiste précaire », c'est d'une précarité sociale et économique dont il est question. Le malentendu entre précarité d'auteur et précarité sociale doit être déconstruit. Les minima sociaux et les barèmes de rémunération restent des combats fondamentaux.
Pistes d'action
Renforcer le lien écoles-organisations professionnelles
L'Alliance France Design, l'ADAGP, le CAAP, les réseaux territoriaux comme RAC (Réseau Art Contemporain) en Aquitaine : ces structures existent mais restent méconnues des étudiants.
Former aux compétences entrepreneuriales
Un artiste et un designer sont des travailleurs indépendants qui doivent maîtriser la négociation de contrats, la compréhension du vocabulaire professionnel (honoraires, bourses, frais de production), la communication sur son travail, la réponse aux appels à projets. Ces compétences doivent être intégrées au cursus.
Multiplier les expériences terrain
Plutôt que des stages longs de six mois, privilégier des stages courts et multiples pour découvrir la diversité des écosystèmes. Les post-diplômes, résidences et dispositifs d'accompagnement à la sortie sont essentiels mais fragilisés par le manque de financements pérennes.
Développer les outils de tarification
Des ressources existent : les barèmes de rémunération (charte du SODAVI), le Guide de rémunération de La Fraap, les outils comme le Calkulator (ancêtre de Copryce) pour le design. Ces référentiels restent des bases de négociation sans caractère contraignant.
Garantir l'accès à la formation continue
L’AFDAS est un acquis fondamental pour les professionnels mais son budget est aujourd'hui dépassé par la demande. Il faut défendre cet outil face aux défis de l'IA et des mutations du secteur.
Défis structurels
Les discussions ont mis en lumière des enjeux plus larges :
La reconnaissance de la recherche en art et design comme composante essentielle de la création contemporaine
L'harmonisation des statuts des enseignants et personnels, aujourd'hui extrêmement disparates entre écoles nationales et territoriales
La masterisation et le niveau doctoral : comment développer le troisième cycle sans sacrifier les post-diplômes ?
Le financement : 75 % des écoles dépendent des collectivités territoriales dans un contexte budgétaire contraint
La visibilité des spécificités du service public face à celles des écoles privées et de certaines plateformes
Parole étudiante
Un moment fort des assises a été l'intervention des représentants étudiants, qui ont dénoncé avec force les violences systémiques (sexisme, racisme, validisme) encore présentes dans les écoles.
Ils ont également appelé à une vraie gouvernance partagée, avec une représentation étudiante effective dans les instances décisionnelles.
Plénière de clôture
La restitution des travaux des Assises s'est articulée autour des témoignages de trois personnalités qui ont suivi attentivement les débats des deux journées de tables rondes.
Davide Bertocchi, artiste et professeur à l'École Média Art du Grand Chalon, a restitué les échanges de l'axe 1 Interroger l'école – enseigner la création, soulignant la nécessité de préserver la liberté pédagogique tout en structurant mieux la filière.
Frédérique Joly, sociologue et responsable des études et de la recherche à l'École supérieure d'art et de design Toulon Provence Méditerranée, a synthétisé les travaux de l'axe 2 Égalité des chances et politiques publiques, mettant en lumière les tensions entre ambitions égalitaires et réalités budgétaires.
Myriam Mihindou, artiste multidisciplinaire, a partagé sa vision à partir de l'axe 3 Être et devenir artiste et designer, rappelant l'importance de préparer concrètement les étudiants aux réalités professionnelles sans pour autant formater leurs pratiques.
Ces trois regards croisés ont permis de dégager des pistes d'action concrètes qui ont nourri les échanges avec la salle.
Perspectives
Naomi Peres, directrice générale de la démocratie culturelle, des enseignements et de la recherche au ministère de la Culture, a rappelé l'engagement du ministère tout en reconnaissant la complexité du contexte budgétaire. Elle a évoqué plusieurs chantiers prioritaires :
L'ouverture du dossier des statuts des enseignants pour 2026
Le raccordement des écoles à la loi de programmation de la recherche
Le renforcement de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles
Le développement de la visibilité et de la reconnaissance du modèle d'excellence des écoles publiques
Ce que je retiens
Ces trois jours ont été riches en émotions, en débats et en propositions. Plusieurs convictions se sont renforcées :
L'urgence d'une filière structurée : les écoles d'art et design publiques doivent se constituer en filière cohérente, de l'éveil à la formation continue
La nécessité d'un dialogue social réel : entre directions, personnels, étudiants et tutelles
L'importance de la représentation professionnelle : les organisations syndicales et professionnelles sont indispensables à la défense collective des droits
La dimension entrepreneuriale : former des artistes et designers autonomes passe aussi par l'acquisition de compétences administratives et commerciales
L'exigence d'inclusion : l'accessibilité, la lutte contre toutes les discriminations et l'attention à la précarité étudiante doivent être au cœur du projet des écoles
Les métiers de la création génèrent une richesse artistique et économique dont l'importance n'est plus à démontrer. Dans un monde traversé par l'IA, les crises écologiques et sociales, la pensée artistique et le design sont des forces de transition indispensables.
Merci à l'ANdÉA, à l'APPÉA, à l'ANÉAT et aux Beaux-arts de Marseille pour l'organisation de cet événement. Le chemin est long mais la mobilisation collective donne espoir.
Les Assises se sont conclues sur un appel : protéger un modèle fragilisé, rappeler la contribution essentielle de la création au bien commun, et construire ensemble une politique soutenable pour l'avenir de l'école d'art. L’Alliance France Design et Copryce s'inscrivent dans cette dynamique collective, en apportant leur pierre à l'édifice de la professionnalisation et de la reconnaissance économique des métiers de la création, au service de tous les designers, quelle que soit leur école de formation.
Un engagement de longue date auprès des écoles
Je ne découvrais pas la situation des écoles lors de ces Assises. J’ai étudié il y a 35 ans dans une école publique territoriale. À l’époque, le public était garant d’excellence, devant le privé.
Mais le public, sous tutelle du ministère de la Culture, a mis plus de 30 ans à faire évoluer ses objectifs de pédagogie en phase avec les activités professionnelles du design. Notre société change constamment, et de plus en plus rapidement. Aujourd’hui, les écoles privées rassurent les étudiants (et leurs parents) en mettant en avant leur agilité à suivre ce mouvement, pendant que trop de directions d’écoles publiques s’enlisent dans l’administratif et peinent à affirmer leur vision de terrain. Un peu plus de transversalité, pourtant chère au design, ne ferait pas de mal.
C’est un paradoxe avec la force économique que représentent les industries culturelles et créatives (ICC), qui pèsent plus que le secteur automobile dans notre économie.
Mon engagement n’a jamais faibli. J’ai enseigné le design en communication pendant 10 ans. Entre 2012 et 2013, j’ai participé au comité de pilotage du référentiel des métiers du design, piloté conjointement par les ministères de l’Industrie et de la Culture. En 2021, j’ai été auditionné pour le Panorama et enjeux de l’enseignement supérieur du design en France. Je suis intervenu dans les écoles à propos de l’activité professionnelle du design pendant 20 ans. J’ai coaché plus de 1000 étudiants aux affres de l’insertion professionnelle. Je salue ici Barbara Dennys, directrice de l’Esad d’Amiens, pour sa construction méthodique de la professionnalisation de ses étudiants en master depuis 2005.
J’ai même envisagé de prendre la direction d’une école de design publique pour apporter ma vision de terrain. J’en ai été dissuadé par la réalité : une charge administrative qui laisse peu de place à la conduite autonome de projets pédagogiques innovants. Symptôme, là encore, d’une inertie structurelle qui, malgré les bonnes volontés et les initiatives des ministères, freine l’évolution nécessaire.
Bref, je n’ai jamais quitté le contact avec les écoles.
Je pense que publiques ou privées, toutes les écoles ont leur place avec leurs spécificités. Mais le public souffre en ce moment. C’est pour cela que j’ai intégré dans mon projet Copryce une accessibilité pour les étudiants.
Copryce : un écosystème complémentaire pour outiller les écoles de design
Dans la continuité de ces Assises et des constats partagés sur la nécessité d'outiller les professionnels de la création, j'ai annoncé à Marseille la création de Copryce, partenaire de l'Alliance France Design, nouvel outil de tarification et de négociation pour les designers et créateurs.
Une précision importante : si les écoles d'art et design forment souvent dans les mêmes établissements, les modèles économiques des artistes et des designers ne sont pas les mêmes, même s'ils peuvent parfois se compléter ou se recouper. Le marché de l'art et le parcours des soutiens institutionnels pour les artistes (galeries, centres d'art, résidences, bourses, commandes publiques) diffèrent fondamentalement du marché de l'expertise en design, connecté à l'industrie et aux services (clients privés, entreprises, marchés publics, prestations intellectuelles). Copryce s'adresse spécifiquement aux designers et à leur écosystème professionnel.
Une évolution nécessaire du Calculator
Après 17 ans d'existence sous forme associative, l’outil de tarification de design Calculator évolue vers un nouveau modèle. Pour être en accord avec les instances de libre concurrence européennes et ne pas être compris comme une entente illicite sur les prix, nous avons repensé le dispositif en créant une société dédiée : Copryce.
Cette transformation n'est pas qu'administrative. Elle nous permet de développer un écosystème plus complet autour de deux plateformes :
copryce.info : un espace de ressources (vidéos, interviews, articles) donnant la parole aux acteurs de l'écosystème du design
copryce.com : l’outil de tarification permettant aux professionnels de construire leur offre sur des bases solides
Au-delà de la tarification : la négociation comme compétence fondamentale
Le véritable enjeu n'est pas seulement de fournir des simulations mais d’accompagner les professionnels dans l'apprentissage de la négociation. C'est une compétence complexe à acquérir, quel que soit le stade de la carrière.
Un modèle de partenariat tripartite : écoles - AFD - Copryce
Notre proposition s'adresse à l'ensemble des écoles de design, qu'elles soient publiques ou privées. L'ANdÉA, avec qui nous avons échangé lors de ces Assises, est un acteur messager important mais chaque direction d'école conserve naturellement son libre choix dans l'adoption de ces outils.
Le modèle repose sur une complémentarité entre trois acteurs :
L'Alliance France Design (AFD) met à disposition gratuitement, via son système d'affiliation sans cotisation, l'ensemble des modèles de contrats, devis et conditions générales de vente. Ces documents constituent la base juridique indispensable pour démarrer une activité professionnelle sereinement.
Copryce, partenaire de l'Alliance France Design, apporte les compléments que les organisations professionnelles ne peuvent pas fournir pour des raisons économiques ou légales (règles de libre concurrence) : l'outil de tarification, les ressources pédagogiques sur la négociation, l'accès à un écosystème d'acteurs professionnels.
Les écoles restent maîtresses de leur pédagogie et de leurs choix de partenariats. Elles peuvent intégrer ces ressources dans leurs programmes de professionnalisation selon leurs besoins et leurs orientations.
Un engagement pour la nouvelle génération
Pour les étudiants, l'accès à Copryce serait proposé gratuitement ou à prix symbolique (1 euro), en complément de l'affiliation gratuite à l'AFD.
Pourquoi cet engagement ?
Former en amont : il est plus efficace d'outiller les futurs professionnels pendant leurs études que d'intervenir en urgence lorsqu'ils sont déjà en difficulté
Prévenir plutôt que guérir : disposer des outils contractuels et de tarification dès la formation permet d'éviter de nombreux problèmes
Créer une culture commune : développer une génération de créateurs conscients de la valeur de leur travail et capables de la défendre
La créativité comme expertise
Notre conviction, que nous partageons avec l'Alliance France Design, est que la créativité est une expertise. Les écoles forment remarquablement bien à percevoir la partie tangible du travail créatif (l'œuvre, l'objet, le projet). Mais une véritable compétence réside dans tout ce qui précède cette réalisation tangible: la démarche conceptuelle, le processus créatif, la recherche, l'itération.
Là se situe la propriété intellectuelle, là se trouve la valeur ajoutée réelle de l'artiste et du designer. Et c'est précisément cette expertise-là qu'il faut apprendre à valoriser et à protéger.
Cette conviction s'applique aux deux univers, même si les modalités de valorisation diffèrent : les artistes évoluent essentiellement dans l'écosystème du marché de l'art (galeries, collectionneurs, institutions culturelles, bourses), tandis que les designers interviennent essentiellement dans le champ de l'expertise appliquée (industrie, services, innovation, commande privée et publique). Copryce concentre ses outils sur ce second business, celui du design.
Un travail complémentaire avec les écoles
Nous ne prétendons pas que Copryce puisse remplacer le travail pédagogique des écoles. Leur rôle est de former des esprits, des créateurs capables de penser. Ce n'est pas de former des techniciens de la facturation.
Mais une fois sorti de l'école, avec un Master en poche, le professionnel est de fait un entrepreneur. La capacité à comprendre ce qu'est une entreprise, un marché, une clientèle, un contrat, devient déterminante pour la viabilité de son activité.
C'est précisément à cette articulation que Copryce se positionne : un pont entre la formation artistique et la réalité économique, un outil au service de l'autonomie professionnelle.
Prochaines étapes
Les plateformes sont actuellement en version bêta. Nous invitons les écoles de design, publiques et privées, leurs étudiants et leurs diplômés à :
S'inscrire à la newsletter de Copryce pour suivre les développements.
S'affilier gratuitement à l'Alliance France Design pour accéder aux modèles de contrats et de conditions de vente.
Chaque école reste libre de ses choix pédagogiques et de partenariats. Notre objectif est de proposer un écosystème d'outils complémentaires, développé en dialogue avec la communauté éducative et professionnelle, pour que la nouvelle génération de designers dispose des moyens de son autonomie économique.

