La déontologie du designer : bon pour toi, bon pour tes clients, bon pour tout le monde

J’ai été invité au lancement du superbe Luxembourg Design Festival le 12 novembre 2025, pour évoquer, en tant que co-initiateur, la genèse du code de déontologie du designer professionnel de l’Alliance France Design. Belle symbolique ! J’y ai affirmé en substance que « la déontologie, c’est bon pour le business ». Après trois jours de festival très inspirants et une remise des Awards festive, je développe cette idée.


L’éthique ne se théorise pas. Elle se vit. Nous sommes designers. Nous le savons dans nos tripes.

Voilà ce qu’on devrait tous ressentir quand on parle de déontologie. Pas un truc poussiéreux qu’on apprend à l’école et qu’on oublie le lendemain. Non. La déontologie, c’est ce qui te prend aux tripes quand tu as passé des nuits blanches sur un projet, que tu as investi ton énergie, ton talent, ton argent, et que finalement les règles du jeu étaient pourries dès le départ. Peut-être que c’est un concours où ton projet part à la poubelle sans compensation. Peut-être que c’est un contrat qui t’oblige à abandonner tous tes droits d’auteur, même si ton design rapporte des millions au client. Peut-être que c’est un projet où tu découvres un conflit d’intérêts caché. Dans tous les cas, tu te sens floué. C’est ça, la déontologie : ce que tu vis au quotidien, dans tes tripes.

Pourquoi on en parle ?

Contrairement aux architectes, aux avocats ou aux médecins, nous les designers n’avons pas de code de déontologie obligatoire. C’est un choix. Un choix personnel. Un choix collectif. Et c’est justement pour ça qu’il est encore plus important d’en parler. L’Alliance France Design a publié son code de déontologie pour nous donner des repères, une boussole. Pas une contrainte, mais une protection.

Du côté du designer : ne pas tuer son propre marché

Imaginons. Tu es designer, tu bosses dur, tu fais de la belle ouvrage. Et puis tu te retrouves face à des situations qui grincent.

Un concours d’idées gratuit. « Envoyez-nous vos propositions, le gagnant sera peut-être sélectionné ! » Peut-être. Sans garantie. Sans rémunération. Sans rien. On te vend du rêve : « Tu auras peut-être la chance d’être élu ! » C’est un mirage, un miroir aux alouettes. On joue sur ton ego, sur ton envie de reconnaissance, pour te faire bosser gratuitement.

Un contrat qui te demande de céder tous tes droits d’auteur pour une somme dérisoire. Même si ton design rapporte des millions au client. Même si ton travail fait le succès de son produit. Toi, tu touches tes 2 000 € et basta. C’est fini. Plus rien. La propriété intellectuelle, c’est pourtant ce qui devrait rémunérer le succès de ton design. Mais non, on te dit : « C’est comme ça que ça marche. »

Un client qui te demande trois versions « pour voir », avant même de signer un contrat. « Juste pour qu’on puisse choisir. » Traduction : tu travailles gratuitement, on prend ce qui nous plaît, et on te paiera peut-être après.

Tu peux te dire : « Bah, si j’y vais pas, un autre ira. » Oui, exactement. Et c’est comme ça qu’on tue notre marché. Si tout le monde accepte de travailler gratuitement, si tout le monde brade ses tarifs, si tout le monde abandonne ses droits d’auteur, si tout le monde accepte de signer des contrats pourris, on détruit notre propre profession. On crée un précédent qui nuit à tous.

La déontologie, c’est un garde-fou collectif. C’est se dire : « Non, je ne participe pas à ce concours parce que les règles ne sont pas éthiques. Non, je ne signe pas ce contrat parce qu’il ne respecte pas mes droits d’auteur. Non, je ne travaille pas gratuitement quand mon travail a de la valeur. » C’est penser collectif pour protéger l’individu. C’est la concurrence loyale, celle qui élève tout le monde au lieu de tirer tout le monde vers le bas.

Les exemples qui mettent en colère

Tu as déjà vécu ça ?

Le concours bidon. Tu réponds à un concours. Tu investis ton temps, ton talent, ton énergie, peut-être même ton argent. Tu y crois. Tu bosses comme un malade. Et puis... rien. Ton projet n’est pas sélectionné. Ok, ça fait partie du jeu. Mais si en plus tu découvres que :

  • Les règles du concours n’étaient pas claires dès le départ.

  • Le jury n’était pas impartial.

  • Les projets non retenus sont quand même utilisés sans compensation.

  • Il n’y avait jamais eu l’intention de vraiment choisir un gagnant.

Le projet qui rapporte des millions. Tu crées un design génial pour un client. Ton travail fait le succès de son produit. Il vend des millions. Toi ? Tu as touché tes honoraires au départ et c’est tout. Parce que dans le contrat, tu as abandonné tous tes droits d’auteur. Le client empoche tout. Toi, rien. La propriété intellectuelle aurait dû te permettre de toucher une part du succès. Mais non.

Le client qui disparaît. Tu as fait le boulot, tu as livré, tu attends ton paiement. Le client ne répond plus. Ou il te dit : « Finalement, on ne retient pas votre proposition. » Mais tu as bossé. Tu as investi du temps. Et rien n’était prévu dans le contrat pour ça.

Là, ça te met en colère. Et c’est normal. Parce que ce n’est pas éthique. Parce que ça détruit le marché. Parce que la prochaine fois, tu ne veux plus te faire avoir.

La déontologie, c’est ça : vivre avec ses tripes et refuser les pratiques pourries.

Du côté du client : tu ferais confiance à un médecin sans éthique ?

Maintenant, mets-toi à la place de quelqu’un qui a besoin d’un designer. Tu cherches un professionnel pour ton projet. Tu rencontres plusieurs candidats. Et là, tu poses la question :

« Avez-vous un code de déontologie ? »

Le premier designer te répond : « Non, je n’en ai pas. »

Le second te répond : « Oui, je suis membre de l’Alliance France Design et je respecte notre code de déontologie. »

Lequel tu choisis ?

C’est exactement comme si tu allais chez le médecin. Tu es malade, tu as besoin de soins. Le médecin te dit : « L’éthique ? Non, je n’en ai pas. » Tu serais rassuré ? Moi non. Je choisirais un médecin qui suit le serment d’Hippocrate, qui a une éthique professionnelle claire.

C’est pareil pour les designers. Un client qui travaille avec un designer déontologue sait que :

  • Son projet sera traité avec intégrité et transparence.

  • Il n’y aura pas de conflit d’intérêts caché.

  • La confidentialité sera respectée.

  • Le designer assumera ses missions avec professionnalisme.

  • Les droits d’auteur seront clairs et respectés.

La déontologie, c’est une garantie de confiance. C’est dire au client : « Tu peux me faire confiance, je respecte des règles claires et je les applique. »

La déontologie, c’est bon pour ton business

Arrêtons de penser que l’éthique, c’est un truc de bisounours qui nous empêche de gagner de l’argent. C’est tout le contraire.

La déontologie est un outil de sélection des bons clients. Quand tu affiches clairement tes règles du jeu, tu filtres naturellement les clients. Ceux qui ne veulent pas respecter tes droits d’auteur ? Ils vont voir ailleurs. Ceux qui veulent du travail gratuit ? Ils partent. Ceux qui cherchent à te flouer ? Ils disparaissent. Résultat : tu ne perds plus de temps avec des clients toxiques. Tu travailles avec des gens qui comprennent la valeur de ton travail, qui respectent tes conditions, qui jouent franc jeu.

Parce que soyons clairs : un designer ne peut pas travailler avec tout le monde, pour ne pas dire n’importe qui. Si tu acceptes tous les projets, tous les clients, toutes les conditions, tu te perds. Tu t’épuises. Tu fais des compromis sur tes valeurs. Tu brades ton talent. La déontologie t’aide à être sélectif. Elle te donne la légitimité de dire non. Elle te permet de choisir les projets qui ont du sens, les clients qui te respectent, les collaborations qui te font grandir. C’est un filtre qualité pour ton business qui te permet de t’accomplir vraiment. Et ça, c’est bon pour ta trésorerie, pour ton moral et pour ton portfolio.

La déontologie protège ton marché. Si tous les designers respectent des règles éthiques, le marché est plus sain. Les clients savent qu’ils peuvent faire confiance aux designers. Les concours sont loyaux. Les tarifs sont justes. Tout le monde y gagne.

La déontologie te différencie. Dans un marché saturé, où tout le monde se ressemble, dire « Je respecte un code de déontologie » te donne une longueur d’avance. C’est un signal fort que tu envoies à tes clients : « Je suis un professionnel sérieux, pas un cow-boy. »

La déontologie te protège personnellement. Tu sais ce que tu peux accepter, ce que tu dois refuser. Tu ne perds plus de temps sur des projets foireux. Tu as des garde-fous clairs.

Une responsabilité envers l’humain et le collectif

Le code de déontologie de l’Alliance France Design ne se limite pas à la relation designer-client. Il va plus loin. Il parle de notre responsabilité envers les utilisateurs, envers la société, envers l’environnement.

Tu conçois un produit ? Il doit améliorer la vie des gens, pas la dégrader. Il doit protéger la santé et l’environnement, pas les détruire. C’est écrit dans le code. Et c’est essentiel.

Parce que notre travail de designer a un impact. Sur les utilisateurs, sur la société, sur la planète. Avoir une éthique, c’est assumer cet impact. C’est se dire : « Mon travail a du sens, il doit servir l’humain et le collectif. »

En conclusion : l’éthique bénéficie à tout le monde

La déontologie n’est pas un luxe. Ce n’est pas une contrainte. C’est une nécessité.

Elle bénéficie :

  • Aux designers : en protégeant leur marché, en leur donnant des repères clairs, en les différenciant.

  • Aux clients : en leur garantissant un travail intègre, transparent et professionnel.

  • Aux usagers : en assurant que les productions de design respectent leur santé, leur bien-être et leur environnement.

  • À la société : en élevant la profession, en créant une concurrence saine, en valorisant le travail de qualité.

L’éthique ne se théorise pas. Elle se vit. Nous sommes designers. Nous le savons dans nos tripes.

Alors la prochaine fois qu’on te propose un concours d’idées gratuit, un contrat qui t’oblige à abandonner tes droits d’auteur, un projet avec un conflit d’intérêts évident, un client qui veut « juste voir trois versions avant de signer »... écoute tes tripes. Dis non. Respecte la déontologie. Pour toi. Pour tes pairs. Pour tes clients. Pour tout le monde.


Article rédigé pour le Luxembourg Design Festival, 15 novembre 2025.
Basé sur le Code de déontologie du designer de l’Alliance France Design

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